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Et si le taux d’usure sur les crédits soutenait en réalité le marché immobilier en France?

Le taux d'usure a limité la remontée des taux en France, ce qui a pu soutenir le marché immobilier par rapport à d'autres pays européens.

Le taux d'usure a limité la remontée des taux en France, ce qui a pu soutenir le marché immobilier par rapport à d'autres pays européens. - Gettyimages / krisanapong detraphiphat

[AVIS D'EXPERT] Si le taux d'usure bloque de nombreux dossiers de crédit immobilier, les taux moyens en France restent bien plus bas qu'ailleurs en Europe. Décryptage avec notre expert Guillaume Almeras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor.

L’Observatoire Crédit Logement/CSA pointe une baisse spectaculaire du nombre de crédits immobiliers octroyés en France: pratiquement -35% sur un an pour les derniers mois d’août et de septembre.

La remontée des taux d’intérêt immobiliers s’accélère en effet et la production de crédits immobiliers s’effondre. Spectaculaire, le recul a été particulièrement prononcé en août et en septembre avec -32.4 % pour la production réalisée durant ces deux mois en glissement annuel et -34.7 % pour le nombre de prêts. Une telle chute ne s’était pas constatée depuis l’automne 2008, au plus profond de la crise financière internationale. A titre de comparaison, à la suite du premier confinement mi-mars 2020, le nombre de prêts immobiliers accordés avait reculé de 11,7 % sur un an au deuxième trimestre 2020, puis de 14,9 % le trimestre suivant et de 18,1 % au dernier trimestre 2020.

Selon l’Observatoire, la baisse actuelle de la production de crédits immobiliers est principalement liée à "la dégradation de la profitabilité des nouveaux crédits", elle-même causée par le taux d’usure qui empêche les banques d’augmenter leurs taux autant qu’elles le souhaiteraient. Début octobre, le relèvement du taux d’usure devait améliorer la situation. Cela a bien été le cas pendant une dizaine de jours (85% de demandes satisfaites). Cependant, le courtier Bankstore constate que de nouveau 40% des demandes de crédits ne passent plus à cause de la limite que fixe le taux d’usure, soit pratiquement autant qu’en août.

Une baisse de la demande qui s'installe

En somme, le discours que l’on entend le plus fréquemment depuis plusieurs mois nous affirme que le marché immobilier serait en pleine forme, s’il n’y avait ce taux d’usure qui empêche nombre de ménages d’emprunter… dans un contexte de récession et d’inflation qui s’annonce particulièrement sévère. Est-ce vraiment crédible? La Banque centrale européenne vient de prévenir que les banques de la zone euro prévoient de resserrer davantage l'accès au crédit au quatrième trimestre 2022 et s’attendent à une baisse de la demande de prêts alors que la croissance économique ralentit et que les taux d'intérêt augmentent.

La véritable explication, d’un phénomène qui est européen et non seulement français, est en réalité là: une baisse de la demande. L’Observatoire reconnait d’ailleurs un repli de la demande ayant affecté depuis plus d’une année le dynamisme du marché.

"Pendant près d’un an, le repli de la demande avait été à l’origine des hésitations, puis du recul de la production de crédits. D’ailleurs, dès le début de 2022 l’activité avait rapidement fléchi sur tous les marchés immobiliers: construction de maisons individuelles, promotion immobilière, transactions sur logements existants ou rénovation des logements, tous les secteurs de l’économie immobilière ont été affectés. Mais dès le début de l’été 2022, la dégradation rapide de la profitabilité des nouveaux prêts est venue amplifier les conséquences d’un repli de la demande qui perdurait: confrontée à un taux d’usure inadapté dans le contexte du relèvement du principal taux de refinancement de la BCE, l’offre bancaire s’est contractée", note l'Observatoire Crédit Logement/CSA.

L’offre bancaire s’est-elle réellement contractée cependant? L’Observatoire reconnaît que si, dans le climat d’incertitude actuel, le niveau d’apport personnel réclamé aux emprunteurs a augmenté à une vitesse qu’on n’avait jamais vu (+13,8 % sur les 9 premiers mois de l’année par rapport à la même période de 2021), les crédits s’adaptent aussi aux prix de l’immobilier qui restent à des niveaux extrêmement élevés. La durée moyenne des emprunts atteint ainsi un nouveau record historique: 241 mois, soit 20,1 années. En outre, plus de 65% des crédits sont octroyés sur des durées supérieures à 20 ans, ce qui est du jamais-vu. Grâce à l’allongement de la durée des crédits octroyés, la part des moins de 35 ans se maintient à un niveau élevé, progressant même pour retrouver le niveau élevé de 2019. La part des accédants modestes (moins de 3 smic) avait diminué en 2020 au bénéfice de la tranche supérieure des revenus (5 smic et plus), en réponse au relèvement des exigences en matière d’apport personnel. Néanmoins et après un recul rapide en 2020, la place des accédants modestes dans le marché s’est redressée en 2021 et progresse depuis le début de 2022, dépassant maintenant son niveau de 2019.

Une correction des prix de plus en plus probable

Pour sa part, la Fédération bancaire française souligne que, fin août, les crédits en cours aux particuliers atteignaient 1.491 milliards d’euros, en hausse de 5,9% sur un an – toujours portés par le dynamisme des crédits à l’habitat (1.262 milliards d’euros d’encours, en progression de 6,3% sur un an).

Cette dynamique des prêts à l’habitat est un peu plus forte en France que dans la zone euro où elle s’établissait à 5,2% en août. Plus de 28% du total des prêts immobiliers de la zone euro sont ainsi accordés par une banque en France.

Comment l’expliquer? Par l’effet du taux d’usure justement! Lequel maintient les taux d’emprunt plus bas en France que dans les autres pays européens.

Taux d'intérêt moyen sur les nouveaux crédits immobiliers
Taux d'intérêt moyen sur les nouveaux crédits immobiliers © Fédération bancaire française

En somme, le taux d’usure pourrait bien exercer un effet contraire à celui que lui prêtent tous ceux qui refusent d’accepter l’idée qu’avec la crise actuelle et à cause d’elle le marché immobilier puisse connaître une probable correction.

Par Guillaume Almeras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor